dimanche 29 mai 2016

Si je pouvais de nouveau vivre ma vie...



Voici un poème écrit par Jorge Luis Borges (1899-1986) un an avant son décès. C'est un poème de sagesse, cueilli à l'occasion de la même mission de travail en Argentine. En réalité, son attribution à Borges est contestée. On en trouve des versions proches ou comparables notamment  de Don Herold et Nadine Stair, tous deux états-uniens. Voyez ces versions ici.


La maison de Borges à Buenos-Aires, dans le quartier de Palermo



Instants

Si je pouvais de nouveau vivre ma vie,
dans la prochaine je tâcherais de commettre plus d’erreurs.
Je ne chercherais pas à être aussi parfait, je me relaxerais plus.
Je serais plus bête que je ne l’ai été,
en fait je prendrais très peu de choses au sérieux.
Je mènerais une vie moins hygiénique.
Je courrais plus de risques,
je voyagerais plus,
je contemplerais plus de crépuscules,
j’escaladerais plus de montagnes,
je nagerais dans plus de rivières.
J’irais dans plus de lieux où je ne suis jamais allé,
je mangerais plus de crèmes glacées et moins de fèves,
j’aurais plus de problèmes réels et moins d’imaginaires.
 
J’ai été, moi, l’une de ces personnes qui vivent sagement
et pleinement chaque minute de leur vie ;
bien sûr, j’ai eu des moments de joie.
Mais si je pouvais revenir en arrière,
j’essaierais de n’avoir que de bons moments.
 
Au cas où vous ne le sauriez pas, c’est de cela qu’est faite la vie,
seulement de moments ; ne laisse pas le présent t’échapper.
 
J’étais, moi, de ceux qui jamais
ne se déplacent sans un thermomètre,
un bol d’eau chaude,
un parapluie et un parachute ;
si je pouvais revivre ma vie, je voyagerais plus léger.
 
Si je pouvais revivre ma vie
je commencerais d’aller pieds nus au début
du printemps
et pieds nus je continuerais jusqu’au bout de l’automne.
Je ferais plus de tours de manège,
je contemplerais plus d’aurores,
et je jouerais avec plus d’enfants,
si j’avais encore une fois la vie devant moi.
 
Mais voyez-vous, j’ai 85 ans…
et je sais que je me meurs.

Instantes
Si pudiera vivir nuevamente mi vida,
en la próxima trataría de cometer más errores.
No intentaría ser tan perfecto, me relajaría más.
Sería más tonto de lo que he sido,
de hecho tomaría muy pocas cosas con seriedad.
Sería menos higiénico.
Correría más riesgos,
haría más viajes,
contemplaría más atardeceres,
subiría más montañas, nadaría más ríos.
Iría a más lugares adonde nunca he ido,
comería más helados y menos habas,
tendría más problemas reales y menos imaginarios.
 
Yo fui una de esas personas que vivió sensata
y prolíficamente cada minuto de su vida ;
claro que tuve momentos de alegría.
Pero si pudiera volver atrás trataría
de tener solamente buenos momentos.
 
Por si no lo saben, de eso está hecha la vida,
sólo de momentos; no te pierdas el ahora.
 
Yo era uno de esos que nunca
iban a ninguna parte sin un termómetro,
una bolsa de agua caliente,
un paraguas y un paracaídas;
si pudiera volver a vivir, viajaría más liviano.
 
Si pudiera volver a vivir
comenzaría a andar descalzo a principios
de la primavera
y seguiría descalzo hasta concluir el otoño.
Daría más vueltas en calesita,
contemplaría más amaneceres,
y jugaría con más niños,
si tuviera otra vez vida por delante.
 
Pero ya ven, tengo 85 años...
y sé que me estoy muriendo.


dimanche 22 mai 2016

Salvar el equilibrio del mundo

Roberto Juarroz (1925-1995) était un poète argentin de la province de Buenos-Aires. Toute sa poésir a été publiée sous un seul et même titre : "Poesia vertical" et aucun de se poèmes n'a de titre propre. Juarroz considérait que les titres étaient des distractions sans nécessité. L'idée unique d'une poésie verticale voulait renvoyer à la transcendance présente dans tout poème.

 Et voici deux poèmes pour accompagner une mission de travail en Argentine, à Buenos-Aires, dans la pampa et à Santa Fe.

Aujourd’hui je n’ai rien fait. 
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi.
Des oiseaux qui n’existent pas
ont trouvé leur nid.
Des ombres qui peut-être existent
ont rencontré leurs corps.
Des paroles qui existent
ont recouvré leur silence.
Ne rien faire
sauve parfois l’équilibre du monde,
en obtenant que quelque chose aussi pèse
sur le plateau vide de la balance. 

Robert Juarroz, treizième poésie verticale, édition bilingue, traduction Roger Munier, José Corti 1993, p. 120/121

Hoy no he hecho nada.
pero muchas cosas se hicieron en mí.
Pájaros que no existen
encontraron su nido.
Sombras que tal vez existan
hallaron sus cuerpos.
Palabras que existen
recobraron su silencio.
No hacer nada
salva a veces el equilibrio del mundo,
al lograr que también algo pese
en el platillo vacio de la balanza. 


Et puis un autre...

 Inaugurer la transparence,
voir à travers un corps, une idée,
un amour, la folie,
distinguer sans obstacle l'autre côté,
traverser de part en part
l'illusion tenace d'être quelque chose.
Non seulement pénétrer du regard dans la roche
mais ressortir aussi par son envers.
Et plus encore:
Inaugurer la transparence
c'est abolir un côté et l'autre
et trouver enfin le centre.
Et c'est pouvoir suspendre la quête
parce qu'elle n'est plus nécessaire,
parce qu'une chose cesse d'être interférence
parce que l'au-delà et l'en-deçà se sont unis;
Inaugurer la transparence
c'est te découvrir à ta place

Poesia Vertical, ( IX, 37), Points - Fayard