dimanche 20 décembre 2015

Vert, c'est en vert que je t'aime

Federico Garcia Lorca a dédié ce poème à ses deux amis Fernando de los Rios et son épouse Gloria Giner.

A Catherine, pour 41 années (moins un jour) de lune gitane... et pour les années à venir...

ROMANCE SONAMBULO

Verde que te quiero verde.
Verde viento. Verdes ramas.
El barco sobre la mar
y el caballo en la montaña.
Con la sombra en la cintura
ella sueña en su baranda,
verde carne, pelo verde,
con ojos de fría plata.
Verde que te quiero verde.
Bajo la luna gitana,
las cosas le están mirando
y ella no puede mirarlas.
Verde que te quiero verde.
Grandes estrellas de escarcha,
vienen con el pez de sombra
que abre el camino del alba.
La higuera frota su viento
con la lija de sus ramas,
y el monte, gato garduño,
eriza sus pitas agrias.
¿Pero quién vendrá? ¿Y por dónde...?
Ella sigue en su baranda,
verde carne, pelo verde,
soñando en la mar amarga.

Compadre, quiero cambiar
mi caballo por su casa,
mi montura por su espejo,
mi cuchillo por su manta.
Compadre, vengo sangrando,
desde los montes de Cabra.
Si yo pudiera, mocito,
ese trato se cerraba.
Pero yo ya no soy yo,
ni mi casa es ya mi casa.
Compadre, quiero morir
decentemente en mi cama.
De acero, si puede ser,
con las sábanas de holanda.
¿No ves la herida que tengo
desde el pecho a la garganta?
Trescientas rosas morenas
lleva tu pechera blanca.
Tu sangre rezuma y huele
alrededor de tu faja.
Pero yo ya no soy yo,
ni mi casa es ya mi casa.
Dejadme subir al menos
hasta las altas barandas,
dejadme subir, dejadme,
hasta las verdes barandas.
Barandales de la luna
por donde retumba el agua.

Ya suben los dos compadres
hacia las altas barandas.
Dejando un rastro de sangre.
Dejando un rastro de lágrimas.
Temblaban en los tejados
farolillos de hojalata.
Mil panderos de cristal,
herían la madrugada.

Verde que te quiero verde,
verde viento, verdes ramas.
Los dos compadres subieron.
El largo viento, dejaba
en la boca un raro gusto
de hiel, de menta y de albahaca.
¡Compadre! ¿Dónde está, dime?
¿Dónde está mi niña amarga?
¡Cuántas veces te esperó!
¡Cuántas veces te esperara,
ara fresca, negro pelo,
en esta verde baranda!

Sobre el rostro del aljibe
se mecía la gitana.
Verde carne, pelo verde,
con ojos de fría plata.
Un carámbano de luna
la sostiene sobre el agua.
La noche su puso íntima
como una pequeña plaza.
Guardias civiles borrachos,
en la puerta golpeaban.
Verde que te quiero verde.
Verde viento. Verdes ramas.
El barco sobre la mar.
Y el caballo en la montaña.

Federico García Lorca, Romance sonámbulo, extrait de Romancero gitano
Fernando de los Rios fut professeur, socialiste et républicain.  Il mérite d'être connu : http://www.islabahia.com/Biografias/Arias/FernandodelosRios.asp






Vert c'est en vert que je t'aime
Vert le vent, vertes les branches.
Le bateau sur la mer
Et le cheval dans la montagne.
Avec une ceinture d'ombre
Elle rêve sur son balcon,
chair verte et cheveux verts,
Avec des yeux d'argent froid.
Vert c'est en vert que je t'aime.
Sous la lune gitane,
Les choses la regardent
Et elle ne peut les regarder.
Vert c'est en vert que je t'aime
De grandes étoiles de givre
Viennent avec le poisson d'ombre
Qui ouvre le chemin de l'aube.
Le figuier frictionne le vent
Avec la peau rugueuse de ses branches
Et le maquis, rusé compère
Hérisse ses agaves aigres
Mais qui viendra ? Et par où... ?
Elle reste sur son balcon
chair verte et cheveux verts
 Rêvant à la mer amère.

Compère, je veux changer
Mon cheval pour sa maison
 ma monture pour son miroir
Mon couteau pour sa couverture.
Compère, je saigne
Depuis les monts de Cabra.
Si j'avais pu, petit,
Le marché serait conclu.
Mais je ne suis déjà plus moi
Et ma maison n'est plus ma maison. Compère, je veux mourir
Dignement dans mon lit.
D'acier si c'est possible
Avec des draps de hollande.
Ne vois-tu pas ma blessure
De la poitrine à la gorge?
Trois cents roses brunes
Ornent ton plastron blanc.
Ton sang suinte et exhale
autour de ta ceinture.
Mais je ne suis plus moi
Et ma maison n'est plus ma maison. Laissez-moi au moins monter
Jusqu'aux plus hautes balustrades.
Laissez-moi monter, laissez-moi,
Jusqu'aux vertes balustrades.
Balustrades de la lune
Par où retentit l'eau.

Déjà les deux compères montent
Jusqu'aux hautes balustrades.
Laissant une trainée de sang
Laissant une trainée de larmes.
Tremblaient sur les toits
Les lanternes de fer-blanc.
Mille tambours de cristal
Annonçaient l'aube.

Vert c'est en vert que je t'aime
Vert le vent, vertes les branches.
Les deux compères montèrent
Le grand vent laissait
Dans la bouche un goût étrange
De fiel, de menthe et de basilic.
Compère! Où est-elle, dis-moi ?
Où est ma petite femme amère ?
Combien de fois t'a t-elle attendu ?
Combien de fois t'attendra t-elle ?
Visage frais, cheveux noirs,
à cette verte balustrade!

Dans le reflet de la citerne
La gitane se balançait.
chair verte, cheveux verts,
Avec des yeux d'argent froid.
Une chandelle de glace de lune
La maintient sur l'eau.
La nuit s'est faite intime
comme une petite placette.
Des Gardes civils ivres
Frappaient à la porte.
Vert c'est en vert que je t'aime
Vert le vent. Vertes les branches
Le bateau sur la mer
Et le cheval dans la montagne

Trad FD




dimanche 13 décembre 2015

Quand Ferrat chante Aragon qui parle de Neruda...


Je vais dire la légende
De celui qui s'est enfui
Et fait les oiseaux des Andes
Se taire au cœoeur de la nuit

Le ciel était de velours
Incompréhensiblement
Le soir tombe et les beaux jours
Meurent on ne sait comment

Comment croire comment croire
Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda

Lorsque la musique est belle
Tous les hommes sont égaux
Et l'injustice rebelle
Paris ou Santiago

Nous parlons même langage
Et le même chant nous lie
Une cage est une cage
En France comme au Chili

Comment croire comment croire
Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda

Sous le fouet de la famine
Terre terre des volcans
Le gendarme te domine
Mon vieux pays araucan

Pays double où peuvent vivre
Des lièvres et des pumas
Triste et beau comme le cuivre
Au désert d'Atacama

Comment croire comment croire
Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda

Avec tes forêts de hêtres
Tes myrtes méridionaux
O mon pays de salpêtre
D'arsenic et de guano

Mon pays contradictoire
Jamais libre ni conquis
Verras-tu sur ton histoire
Planer l'aigle des Yankees

Comment croire comment croire
Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda

Absent et présent ensemble
Invisible mais trahi
Neruda que tu ressembles
À ton malheureux pays

Ta résidence est la terre
Et le ciel en même temps
Silencieux solitaire
Et dans la foule chantant

Comment croire comment croire
Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda

dimanche 6 décembre 2015

Nous-mêmes derrière nous-mêmes, cachés


Poésies complètes



Emily Dickinson (1830 - 1886) occupe une des places de choix dans toute l'histoire de la poésie américaine. Rien pourtant ne l'y prédisposait. Elle a passé sa vie sans guère s'éloigner de sa maison familiale. Elle n'a pas souhaité publier ses poèmes, en dehors d'une poignée, préférant les envoyer à ses ami(e)s, et c'est à sa mort que sa soeur a retrouvé ses carnets de poésie avec un ensemble de près de 1800 poèmes.
Voici un poème dans lesquels je retrouve bien et son style et ce qu'elle a laissé entrevoir de son monde et de sa personnalité.







Point n’est besoin d’être une Chambre – pour être Hanté –
Point n’est besoin d’être une Maison –
Le Cerveau a des Couloirs – qui surpassent
L’Espace matériel –

Bien moins dangereuse, la rencontre à minuit
D’un Fantôme extérieur
Que la confrontation avec celui qu’on a à l’intérieur –
Invité plus glaçant-

Bien moins dangereux, de traverser une Abbaye au galop,
Poursuivi par les Pierres –
Que désarmé, de se rencontrer soi-même –
Dans un Lieu solitaire –

Nous-mêmes derrière nous- mêmes, cachés –
Devrions tressaillir plus fort –
Un Assassin dissimulé dans notre Appartement
Est infiniment moins horrifiant –

Le Corps – emprunte un Revolver –
Et verrouille la Porte –
Sans prêter attention à un spectre supérieur –
Ou Pire encore –

Trad. F. Delphy

One need not be a Chamber—to be Haunted—
One need not be a House—
The Brain has Corridors—surpassing
Material Place—
Far safer, of a Midnight Meeting
External Ghost
Than its interior Confronting—
That Cooler Host.
Far safer, through an Abbey gallop,
The Stones a'chase—
Than Unarmed, one's a'self encounter—
In lonesome Place—
Ourself behind ourself, concealed—
Should startle most—
Assassin hid in our Apartment
Be Horror's least.
The Body—borrows a Revolver—
He bolts the Door—
O'erlooking a superior spectre—
Or More—

Complete poems, 1924
Part Four : Time and Eternity - LXIX