En Afghanistan, des femmes écrivent et échangent des courts
poèmes, appelés “landai”, ce qui en pachtoune signifie "petit serpent venimeux". Elles y parlent des mariages
forcés, des talibans, des militaires occidentaux, de leur vie.
Eliza Griswold (http://www.elizagriswold.com/
) est une poétesse et journaliste américaine. Elle les a rencontrées et elle a
publié cet article dans The New York Times le 6 septembre 2012.
Dans une maison d’un quartier universitaire paisible de
Kaboul, Ogai Amail attend que le téléphone sonne. La pièce, meublée en tout et
pour tout de quelques coussins au sol, n’est pas chauffée. Lorsque la sonnerie
finit par retentir, elle pousse un cri de joie et met le haut-parleur. Une voix
d’adolescente fait irruption dans la pièce. “Je suis gelée.” Pour passer cet
appel, la jeune fille a dû s’éclipser discrètement de chez elle, sans manteau. Elle
fait partie de Mirman Baheer, un cercle littéraire de femmes de Kaboul, et,
comme nombre de ses membres qui vivent à la campagne, elle appelle dès qu’elle
le peut. Elle dit ses poèmes à Ogai, qui les transcrit vers par vers. Pour
dissimuler ses activités poétiques à sa famille, elle écrit sous le pseudonyme
de Meena Muska (meena signifie “amour” en pachtoune, et muska “sourire”).
Le fiancé de Meena a été tué l’an dernier par une mine
antipersonnel. La tradition pachtoune veut que Meena épouse à présent un frère
du défunt, ce qu’elle refuse de faire. Elle n’ose pas protester ouvertement et
parle de son sort à travers les poèmes qu’elle récite à Ogai. Lorsque je lui
demande son âge, elle me répond par un proverbe : “Je suis comme une tulipe
dans le désert. Je meurs avant de m’ouvrir, et la brise du désert éparpille mes
pétales.” Elle n’est pas certaine de son âge mais pense avoir 17 ans. “Comme je
suis une fille, personne ne connaît ma date de naissance. Meena vit à Gereshk,
une ville de 50 000 habitants située dans le Helmand [sud-ouest de
l’Afghanistan], à 650 kilomètres de Kaboul. Elle reste à la maison, fait la
cuisine et le ménage, et s’exerce à écrire des poèmes en cachette. Je ne peux
pas dire de poésie devant mes frères”, confie-t-elle.
Ils verraient dans ses poèmes d’amour la preuve qu’elle a
une relation illicite, ce qui vaudrait à Meena d’être battue ou même tuée.
“J’aimerais pouvoir faire ce que font les filles à Kaboul", poursuit-elle, la
gorge serrée. Je voudrais écrire sur ce qui ne va pas dans mon pays. “Je suis
la nouvelle Rahila. Enregistrez ma voix. Comme ça, le jour où je me ferai tuer,
au moins, il vous restera quelque chose de moi.” Rahila était le nom de plume
d’une jeune poétesse, Zarmina, qui s’est suicidée il y a deux ans. Sa
belle-sœur l’avait surprise en train de lire ses poèmes d’amour au téléphone.
La famille en avait déduit qu’il y avait un garçon à l’autre bout du fil. Pour
la punir, ses frères l’ont battue et ont déchiré ses carnets, raconte Ogai.
Deux semaines plus tard, Zarmina s’immolait par le feu. Comme Meena Muska, Zarmina vivait cloîtrée dans la maison
familiale à Gereshk. Elle avait découvert le cercle poétique Mirman Baheer en
écoutant la radio, son seul lien avec l’extérieur. Le groupe se réunit tous les
samedis après-midi au ministère de la Condition féminine à Kaboul, et ces
rencontres sont diffusées sur radio Azadi (radio Liberté).
Zarmina appelait très souvent lors des réunions de Mirman
Baheer pour lire ses poèmes. Parfois, elle ne pouvait pas attendre la rencontre
suivante et appelait directement Ogai. Et lorsque celle-ci lui disait qu’elle
était trop occupée pour l’écouter, Zarmina lui répondait avec un landai, un
poème populaire pachtoune : “Je hurle mais tu ne réponds pas Un jour tu me
chercheras et je ne serai plus de ce monde". “Je regrette tellement de ne pas
l’avoir enregistrée quand elle lisait ses poèmes", confie Ogai. "Maintenant,
quand une fille appelle, je note tout – la date, le numéro de téléphone, et
tout ce qu’elle dit". Dans ses poèmes, Zarmina évoquait “la cage sombre du
village”. Pour Ogai, ses écrits n’étaient pas seulement remarquables pour la
beauté de la langue mais aussi parce qu’ils osaient questionner la volonté
divine : “Dans l’islam, Dieu a aimé le prophète Mahomet. Je vis dans une
société où aimer est un crime. Si nous sommes musulmans, pourquoi sommes-nous
ennemis de l’amour ?” Entre le jour où elle s’est fait battre par ses frères et
celui où elle s’est suicidée, Zarmina n’a jamais dit à Ogai à quel point elle
était désespérée mais elle lui a récité un autre landai : “Le jour du Jugement
dernier, je dirai tout haut Je suis venue du monde le cœur plein d’espoir". “Ne
sois pas bête”, se souvient de lui avoir dit Ogai. “Tu es trop jeune pour
mourir”. Mirman Baheer, le plus grand cercle littéraire féminin d’Afghanistan,
est la version actuelle de l’Aiguille dorée, un réseau très actif du temps des
talibans [1996-2001]. A Herat [dans l’ouest du pays], des femmes se
réunissaient soi-disant pour faire de la couture mais en fait pour parler de
littérature. A Kaboul, Mirman Baheer n’a pas besoin de recourir à de tels
subterfuges. La centaine de membres que compte le cercle dans la capitale
afghane est majoritairement issue de l’élite : professeures, parlementaires,
journalistes et intellectuelles. Elles vont à leur réunion du samedi en bus, le
visage découvert. Mais dans les provinces reculées – Khost, Paktia, Wardak,
Kunduz, Kandahar, Herat et Farah –, où le cercle compte quelque 300 membres, il
opère largement dans la clandestinité.
Environ 80 % des 15 millions d’Afghanes vivent dans des
zones rurales, où les tentatives des Américains pour promouvoir les droits des
femmes n’ont guère porté leurs fruits. Seulement 5 % des femmes vont jusqu’au
baccalauréat ; la plupart sont déjà mariées à 16 ans, les trois quarts d’entre
elles à un époux imposé par leur entourage. La poésie pachtoune est depuis
longtemps un instrument de rébellion pour les femmes afghanes. Le terme landai,
qui signifie littéralement en pachtoune “petit serpent venimeux”, désigne une
forme poétique populaire à deux vers. Drôle, accrocheur, rageur, tragique, le
landai n’a pas d’auteur à proprement parler ; on se le répète, on le partage ;
le landai appartient à une femme sans vraiment lui appartenir. Les hommes en
récitent aussi, mais les landai sont presque toujours exprimés par des voix
féminines. “Les landai appartiennent aux femmes”, affirme Safia Siddiqi,
poétesse pachtoune de renom et ancienne députée. Les landai parlent
traditionnellement d’amour et de chagrin. Ils raillent souvent le mariage forcé
avec un humour pince-sans-rire, les maris vieillissants et bons à rien y étant
souvent qualifiés des “petits monstres”.
Ces poèmes évoquent avec tout autant de férocité la guerre,
l’exil ou l’indépendance du pays. L’occupation soviétique [1978-1992],
l’hypocrisie des talibans et la présence militaire américaine sont aussi
abordées. On récite encore aujourd’hui ce landai datant de l’époque soviétique :
“Que ton avion s’écrase et que le pilote meure Toi qui déverses des bombes sur
mon cher Afghanistan". “Un poème est une épée”, résume la fondatrice de Mirman
Baheer, Saheera Sharif. Saheera n’est pas poète mais députée de la province de
Khost. La littérature, dit-elle, est un moyen de défendre les droits des femmes
plus efficace que les rassemblements politiques.
Une vingtaine de poétesses et d’écrivaines, âgées de 15 à 55 ans, sont
rassemblées autour d’une table en demi-cercle au ministère de la Condition
féminine. Ogai Amail lève les yeux au-dessus de ses lunettes de lecture.
Saheera tient sa fille de 7 ans, Zala, sur ses genoux. L’assistance écoute Alam
Gul Sahar, auteur de quinze recueils de poésie et l’une des plumes du président
Hamid Karzai, faire un bref exposé sur la nature de l’âme. Une fois l’exposé de
Sahar achevé, l’atelier commence.
Une jeune femme se lève et se met à lire la nouvelle qu’elle
a écrite d’une voix nerveuse et monocorde : c’est l’histoire d’une fille dont
la mère est morte en couches, qui finit par aller à l’université et doit
choisir entre deux prétendants ; l’un d’eux fait une tentative de suicide, mais
il revient miraculeusement à la vie. Fin du récit. La séance de critique
commence. L’une des membres les plus expérimentées du groupe pointe deux
problèmes. Premièrement, il ne peut pas y avoir deux amoureux dans une histoire
pachtoune ; cela va à l’encontre de l’honneur féminin. Deuxièmement, sa diction
était monotone. Puisque votre héroïne est instruite, elle devrait s’exprimer de
façon plus raffinée”, dit la femme à l’auteure, un peu abattue. La mission du
groupe, estime Saheera Sharif, n’est pas seulement d’apprendre aux jeunes
femmes à écrire, mais aussi à s’exprimer à voix haute avec assurance. On passe
ensuite à la poésie. Les femmes ont apporté des landai contemporains. On
échangeait traditionnellement ces poèmes lors de la nuit du henné, la veille du
mariage, lorsque les femmes se rassemblent autour de la future épouse pour lui
décorer le corps. Le sujet principal des landai a longtemps été le godar –
l’endroit du village où les femmes allaient puiser l’eau, et où les hommes, qui
n’avaient pas le droit de s’approcher d’elles, tentaient d’apercevoir leurs
bien-aimées à distance. Les femmes instruites qui sont rassemblées au ministère
parlent de sujets plus vastes, par exemple du mollah Omar, le chef spirituel
borgne des talibans que la rumeur donne pour mort : “L’herbe pousse sur la tombe
de l’aveugle Ces imbéciles de talibans le croient encore vivant". Ogai lit un
autre landai sur l’échec de l’opération militaire américaine :“Ici, ils
combattent les talibans Là-bas, de l’autre côté des montagnes, ils les
entraînent.”
Lorsque je demande qui a apporté ce landai, Zamzama, 17 ans,
lève la main. Cela semble à la fois l’embarrasser et l’enhardir de critiquer
les Etats-Unis devant une Américaine. Zamzama a rejoint le cercle il y a deux
ans, en même temps que sa cousine de 15 ans, Lima. Lima a récemment remporté le
prix décerné par Mirman Baheer. Elle s’est mise à écrire des poèmes adressés à
Dieu à l’âge de 11 ans. Son père a entendu parler de Mirman Baheer par un
collègue et il y envoie ses filles toutes les semaines pour qu’elles apprennent
à écrire. Lima se lève pour réciter son dernier poème, un quatrain, adressé aux
talibans : “Tu m’interdis d’aller à l’école. Je ne deviendrai jamais médecin. Pense
à une chose : Un jour, tu tomberas malade".
Je souhaite en savoir plus sur
Zarmina et comprendre ce qui l’a poussée à se donner la mort. Pour cela, je me
rends à Gereshk. J’ai peut-être aussi une petite chance de rencontrer Meena
Muska, l’adolescente qui a appelé Mirman Baheer et évoqué le nom de Zarmina.
“Il y a dix ans, personne n’entendait parler de jeunes filles décédées de mort
violente”, m’explique Fauzia Olemi, ministre de la Condition féminine du
Helmand, lorsque nous nous rencontrons à Lashkar Gah, la capitale de la
province, dont Gereshk est une banlieue. “Aujourd’hui, nous avons un réseau
d’organisations qui travaillent sur ces questions.”
Fauzia Olemi veut me faire voir certaines des modestes
avancées de la province en matière d’éducation des femmes, notamment un atelier
de trois jours sur les bienfaits des légumes frais. Les participantes ont une
vingtaine d’années et leur visage est buriné par le travail des champs. Je leur
demande si elles aiment la poésie. Dès que la question est traduite, l’une
d’elles se lève et se lance dans ce qui ressemble à une impro de rap en
pachtoune, Gulmakai a 22 ans mais en paraît 45. Elle compose des poèmes en
permanence, explique-t-elle, qu’elle soit en train de faire la cuisine ou le
ménage : “Faire l’amour à un vieillard c’est comme Faire l’amour à une tige de
maïs flasque noircie par la moisissure". Elle veut poursuivre, mais l’animateur
de l’atelier la fait taire.
Quelques jours plus tard, j’organise mon
déplacement à Gereshk et une rencontre avec les parents de Zarmina grâce à
l’aide d’une militante locale des droits des femmes. Paradoxalement, elle se
sent plus en danger depuis la chute des talibans que du temps où ils
dirigeaient le pays : en raison de son engagement en faveur des femmes, on
l’associe au gouvernement Karzai et à l’idée “occidentale” de droits des
femmes. Elle a réchappé à plusieurs tentatives d’assassinat. “J’ai six ou sept
burqas de couleurs différentes pour que les talibans ne me reconnaissent pas”,
me confie-t-elle au téléphone. Elle rit : “Finalement, la burqa me protège !”
Mais, comme Fauzia Olemi, elle estime que c’est la violence domestique qui met
réellement les femmes en danger.Le lendemain, nous arrivons à la maison de
Fatima Zurai, membre du conseil des femmes de Gereshk, qui va me conduire chez
les parents de Zarmina. Simin Gula, la mère de la jeune fille, est assise sur
un coussin posé au sol. Elle a retiré sa burqa bordeaux et laisse apparaître
une bouche édentée.
Elle se penche vers mon interprète et demande, en me
montrant du doigt : “Est-ce que la coutume du mariage existe dans son pays ?
Est-ce qu’elle est mariée ?” “Oui”, ment mon interprète. Le père de Zarmina
garde le silence. Zarmina est morte brûlée il y a deux ans, raconte sa mère.
“C’était un accident. Elle a voulu se réchauffer après son bain mais comme le
bois était humide, elle a versé de l’essence dessus, et elle a pris feu.” Le
père acquiesce. Non, leur fille n’aimait absolument pas la lecture et la poésie.
“C’était une bonne fille, une fille sans instruction”, poursuit sa mère. “Nos
filles n’aiment pas l’école. “La mère ment”, me chuchote Fatima Zurai. Les
parents acceptent de nous emmener sur la tombe de Zarmina. Les emplacements des
sépultures sont marqués par des monticules de pierres. Nous passons devant
trois femmes agenouillées devant trois petits tas de terre fraîche. Les parents
de Zarmina s’arrêtent devant une tombe couverte de gravier noir, sans aucune
inscription. Lorsque nous regagnons nos véhicules, nous repassons devant les
trois femmes. Derrière moi, l’une d’elle murmure le nom de Zarmina. “Elle s’est
immolée parce que sa famille ne voulait pas la laisser épouser l’homme qu’elle
aimait”, dit-elle, avant de retourner se recueillir sur la tombe de son fils. Il
nous reste encore à rencontrer Meena avant de quitter Gereshk. Je l’ai appelée
la veille pour fixer un rendez-vous. “Ce n’est absolument pas possible de se
voir”, a-t-elle répondu à mon interprète. “A cause de la guerre, il est
déshonorant pour un Pachtoune de parler à un Américain. Ne le prenez pas
personnellement.” Puis après un bref silence, elle avait changé d’avis : “Venez
me retrouver à l’hôpital. Je vous attendrai.” Sa seule condition : que je me
rende au rendez-vous accompagnée uniquement de mon interprète.
Sur le parking de l’hôpital, j’ai soudain peur qu’elle ne
vienne pas au rendez-vous. Puis le téléphone sonne. “Pourquoi vous avez amené
la police ?” demande une voix aiguë. Meena se méfie du garde du corps que les
autorités nous ont attribué. A travers le pare-brise, je vois passer une femme
en burqa bleu azur qui parle au téléphone. Elle se dirige vers une extrémité du
bâtiment. Je m’empêtre en sortant du véhicule dans le tissu qui me recouvre.
Pas besoin de présentations. Nous nous étreignons. A côté d’elle, se tient une
femme grassouillette au visage creusé de rides. C’est la meira de Meena : la
deuxième épouse de son père et sa seconde mère.
“J’ai raconté à mon père que j’étais malade et que je devais
aller voir le médecin”, m’explique-t-elle. Mais elle a dit la vérité à sa mère
et à sa meira : les deux femmes l’encouragent à écrire – pour l’instant du
moins. A ma demande, elle prend un carnet et commence à noter certains de ses
nouveaux poèmes, vers par vers. Elle met par écrit un ghazal, une forme
poétique persane ancienne, puis griffonne ce landai : “Ô séparation ! Je prie
pour que tu meures jeune. Toi qui mets le feu aux maisons des amants". C’est sa
façon de dire sa peine d’avoir été arrachée à son fiancé décédé,
m’explique-t-elle. Meena ne se fait pas beaucoup d’illusions. Elle épousera
l’un des deux frères de son fiancé, quand son père et ses frères jugeront le
moment venu. Sur le parking, l’un des médecins de l’hôpital, le docteur
Asmatullah Heymat, souhaite me dire quelque chose. “J’ai entendu parler de
cette fille que vous cherchez. Elle s’appelait Zarmina. Elle s’est immolée
parce que ses parents ne voulaient pas la laisser épouser l’homme qu’elle
aimait.” C’est tout ce qu’il sait. Dans la soirée, de retour à Lashkar Gah, je
parle au téléphone avec la tante de Zarmina. “La mère de Zarmina ne pouvait pas
vous dire la vérité devant son mari”, m’explique-t-elle.
Depuis son enfance, Zarmina était promise à son cousin
germain, dont elle avait fini par s’éprendre. Mais, le moment venu, le jeune
homme n’a pas été en mesure de s’acquitter des 10 000 euros qu’il devait verser
pour l’épouser. Le père de Zarmina a opposé son veto au mariage, sachant qu’il
allait devoir assurer la subsistance du couple. La jeune fille se consolait en
écrivant des poèmes d’amour et en les lisant aux membres de Mirman Baheer au
téléphone. Jusqu’à ce qu’elle se fasse surprendre au printemps 2010.
Quinze jours plus tard, poursuit la tante, alors que Zarmina
faisait le ménage, elle s’est enfermée dans une pièce et s’est immolée par le
feu, une façon de se suicider courante chez les femmes, en Afghanistan et
ailleurs dans le monde. Cet usage peut être rattaché au sati, une pratique
hindoue aujourd’hui interdite qui veut que la veuve accompagne son mari défunt
sur le bûcher funéraire. De retour à Kaboul, je me rends chez Ogai dans un
quartier de barres d’immeubles en béton datant de l’époque soviétique. Pour
l’équivalent de 200 dollars par mois, elle partage une pièce avec une poétesse
membre de Mirman Baheer qui l’a hébergée après une dispute familiale. Ogai
raconte comment elle a appris que Zarmina s’était immolée. Juste après, depuis
son lit d’hôpital, à Kandahar, Zarmina a réussi à passer un coup de téléphone.
Elle lui a raconté qu’elle était brulée à 75 %. “Elle avait sa voix normale, je
ne m’imaginais pas qu’elle était en train de mourir.” En feuilletant son
carnet, Ogai retrouve un poème qu’elle a écrit après le suicide de Zarmina,
intitulé La poétesse qui meurt jeune : “Son souvenir sera une fleur piquée dans
le turban de la littérature. Dans sa solitude, chaque sœur pleure pour elle.”
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