dimanche 31 août 2014

A la mémoire de Samih Al Qasim, décédé le 19 août 2014

Je résisterai

Par Samih Al Qasim, poète palestinien décédé ce 19 août. 
Il était le frère en poésie de Mahmoud Darwich (dont j'ai publié un poème le 9 août dernier).


Samih Al Qasim (debout) avec Mahmoud Darwich (source photo : Al Huffington Post)


Je perdrai peut-être – si tu le désires – ma subsistance
Je vendrai peut-être mes habits et mon matelas
Je travaillerai peut-être à la carrière comme porte faix, balayeur des rues
Je chercherai peut-être dans le crottin des grains
Je resterai peut-être nu et affamé
Mais je ne marchanderai pas
O ennemi du soleil
Et jusqu'à la dernière pulsation de mes veines
Je résisterai.

Je résisterai

Tu me dépouilleras peut-être du dernier pouce de ma terre
Tu jetteras peut-être ma jeunesse en prison
Tu pilleras peut-être l'héritage de mes ancêtres
Tu brûleras peut-être mes poèmes et mes livres
Tu jetteras peut-être mon corps aux chiens
Tu dresseras peut-être sur notre village l'épouvantail de la terreur
Mais je ne marchanderai pas
O ennemi du soleil
Et jusqu'à la dernière pulsation de mes veines
Je résisterai.

Tu éteindras peut-être toute lumière dans ma vie
Tu me priveras peut-être de la tendresse de ma mère
Tu falsifieras peut-être mon histoire
Tu mettras peut-être des masques pour tromper mes amis
Tu élèveras peut-être autour de moi des murs et des murs
Tu me crucifieras peut-être un jour devant des spectacles indignes
O ennemi du soleil
Je jure que je ne marchanderai pas
Et jusqu'à la dernière pulsation de mes veines
Je résisterai.

Samih Al Qasim (source photo : Al Huffington Post)

dimanche 24 août 2014

Hommage à la philosophe Simone WEIL, décédée le 24 août 1943

LA PORTE

Ouvrez-nous donc la porte et nous verrons les vergers,
Nous boirons leur eau froide où la lune a mis sa trace.
La longue route brûle ennemie aux étrangers.
Nous errons sans savoir et ne trouvons nulle place.

Nous voulons voir des fleurs. Ici la soif est sur nous.
Attendant et souffrant, nous voici devant la porte.
S’il le faut nous romprons cette porte avec nos coups.
Nous pressons et poussons, mais la barrière est trop forte.



Il faut languir, attendre et regarder vainement.
Nous regardons la porte ; elle est close, inébranlable.
Nous y fixons nos yeux ; nous pleurons sous le tourment ;
Nous la voyons toujours ; le poids du temps nous accable.

La porte est devant nous ; que nous sert-il de vouloir ?
Il vaut mieux s’en aller abandonnant l’espérance.
Nous n’entrerons jamais. Nous sommes las de la voir.
La porte en s’ouvrant laissa passer tant de silence

Que ni les vergers ne sont parus ni nulle fleur ;
Seul l’espace immense où sont le vide et la lumière
Fut soudain présent de part en part, combla le coeur,
Et lava les yeux presque aveugles sous la poussière.



Simone Weil, octobre 1941

samedi 9 août 2014

En hommage à Mahmoud Darwish, grand poète palestinien mort le 9 août 2008


Avec "Rita et le fusil", Mahmoud Darwish revient sur un amour d'enfance entre le jeune palestinien qu'il était et Rita, petite fille israélienne.

"Rita et le fusil" a été mis en musique et chanté par Marcel Khalifa.

Pour mieux connaître Mahmoud Darwish, l'écouter et écouter "Rita et le fusil" chanté par Marcel Khalifa :

http://onorient.com/mahmoud-darwich-1155-20130511

Entre Rita et mes yeux : un fusil
Et celui qui connait Rita se prosterne
Et adresse une prière
A la divinité qui rayonne dans ses yeux de miel

Moi, j'ai embrassé Rita
quand elle était petite
Je me rappelle comment elle se blottit tout contre moi
Et comment sa belle tresse couvrit mon bras

Je me rappelle Rita
Comme un oiseau se rappelle son étang

Ah Rita

Entre nous mille oiseaux, mille images
Et d'innombrables rendez-vous
Criblés de balles

Dans ma bouche, le nom de Rita prenait un goût de fête
Dans mon sang, le corps de Rita était une danse
Deux ans durant elle a dormi sur mon bras

Nous prêtâmes serment autour du plus beau calice
Et nous brûlâmes
Dans le vin des lèvres
Et ressuscitâmes

Ah Rita                                                                                
Qui a pu éloigner tes yeux des miens
Hormis le sommeil
Et les nuages de miel
Avant que le fusil ne se mette entre nous

Il était une fois
O silence du crépuscule

Ma lune a disparu au petit matin
Dans les yeux de miel
Et la ville
A balayé tous les troubadours et Rita

Entre Rita et mes yeux : un fusil



dimanche 3 août 2014

Arauco a une peine que je ne peux pas taire

       
                                     Violeta Parra chantant Arauco

Arauco tiene una pena
que no la puedo callar,
son injusticias de siglos
que todos ven aplicar,
nadie le ha puesto remedio
pudiéndolo remediar.
Levantate, Huenchullán*

Un día llega de lejos
Huescufe conquistador,
buscando montanas de oro,
que el indio nunca buscó,
al indio le basta el oro
que le relumbra del sol.
Levántate, Curimón.

Entonces corre la sangre,
no sabe el indio que hacer,
le van a quitar su tierra,
la tiene que defender,
el indio se cae muerto
y el afuerino de pie.
Levántate, Manquilef.

Adonde se fue Lautaro
perdido en el cielo azul,
y el alma de Galvarino
se la llevó el viento Sur,
por eso pasa llorando
los cueros de su kultrún**.
Levantate, pues, Callfull.

Del ano mil cuatrocientos
que el indio afligido está,
a la sombra de su ruca***
lo pueden ver lloriquear,
totora de cinco siglos
nunca se habra de secar.
Levántate, Callupán.

Arauco tiene une pena
mas negra que su chamal****,
ya no son los españoles
los que les hacen llorar,
 hoy son los propios chilenos
 los que le quitan su pan.
Levántate, Pailahuán.

Ya rugen las votaciones,
se escuchan por no dejar,
pero el quejido del indio
¿por qué no se escuchará?
Aunque resuene en la tumba
la voz de Caupolicán,
levántate, Huenchullán.
Arauco a une peine
que je ne peux pas taire,
ce sont des siècles d’injustice
que tous peuvent constater,
personne n’a trouvé de remède
bien que le remède soit évident.
Lève-toi, Huenchullán*.

Un jour arrive de loin
Huescufe le conquérant,
cherchant des montagnes d’or,
que l’indien n’a jamais cherchées,
car lui se contente de l’or
du soleil qui brille.
Lève-toi, Curimón.

Alors le sang coule,
l’indien ne sait quoi faire,
 on va lui voler sa terre,
 il doit se défendre,
l’indien tombe mort
et l’étranger reste debout.
Lève-toi, Manquilef.

Où est allé Lautaro
perdu dans le ciel bleu,
et l’âme de Galvarino
c’est le vent du sud qui l’a emportée,
c’est pour cela que pleurent
les peaux de son kultrún**.
 Alors lève-toi, Callfull.

Depuis l'an mille quatre cents
 l’indien est affligé,
à l’ombre de sa ruca***
on peut le voir pleurnicher,
 cinq siècles de roseaux
qui ne vont jamais sécher.
Lève-toi,Callupán.

Arauco a une peine
plus noire que son chamal****,
ce ne sont plus les espagnols
qui les font pleurer,
aujourd’hui ce sont les chiliens eux-mêmes qui leur volent leur pain.
Lève-toi, Pailahuán.

* chef Mapuche 
** tambour Mapuche 
*** maison traditionnelle Mapuche 
 **** vêtement de femme Mapuche 

Chanson de Violeta Parra, artiste chilienne, 1917-1967 (Trad. M. Millner) 
http://www.violetaparra.cl

La chanson évoque le peuple Mapuche qui vit de part et d'autre de la cordillère des Andes, une grande partie au Chili et une autre en Argentine :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Mapuches