dimanche 27 juillet 2014

Romance sonámbulo

Verde que te quiero verde.
Verde viento. Verdes ramas.
El barco sobre la mar
y el caballo en la montaña.
Con la sombra en la cintura
ella sueña en su baranda,
verde carne, pelo verde,
con ojos de fría plata.
Verde que te quiero verde.
Bajo la luna gitana,
las cosas le están mirando
y ella no puede mirarlas.
Verde que te quiero verde.
Grandes estrellas de escarcha,
vienen con el pez de sombra
que abre el camino del alba.
La higuera frota su viento
con la lija de sus ramas,
y el monte, gato garduño,
eriza sus pitas agrias.
¿Pero quién vendrá? ¿Y por dónde...?
Ella sigue en su baranda,
verde carne, pelo verde,
soñando en la mar amarga.

Compadre, quiero cambiar
mi caballo por su casa,
mi montura por su espejo,
mi cuchillo por su manta.
Compadre, vengo sangrando,
desde los montes de Cabra.
Si yo pudiera, mocito,
ese trato se cerraba.
Pero yo ya no soy yo,
ni mi casa es ya mi casa.
Compadre, quiero morir
decentemente en mi cama.
De acero, si puede ser,
con las sábanas de holanda.
¿No ves la herida que tengo
desde el pecho a la garganta?
Trescientas rosas morenas
lleva tu pechera blanca.
Tu sangre rezuma y huele
alrededor de tu faja.
Pero yo ya no soy yo,
ni mi casa es ya mi casa.
Dejadme subir al menos
hasta las altas barandas,
dejadme subir, dejadme,
hasta las verdes barandas.
Barandales de la luna
por donde retumba el agua.

Ya suben los dos compadres
hacia las altas barandas.
Dejando un rastro de sangre.
Dejando un rastro de lágrimas.
Temblaban en los tejados
farolillos de hojalata.
Mil panderos de cristal,
herían la madrugada.

Verde que te quiero verde,
verde viento, verdes ramas.
Los dos compadres subieron.
El largo viento, dejaba
en la boca un raro gusto
de hiel, de menta y de albahaca.
¡Compadre! ¿Dónde está, dime?
¿Dónde está mi niña amarga?
¡Cuántas veces te esperó!
¡Cuántas veces te esperara,
ara fresca, negro pelo,
en esta verde baranda!

Sobre el rostro del aljibe
se mecía la gitana.
Verde carne, pelo verde,
con ojos de fría plata.
Un carámbano de luna
la sostiene sobre el agua.
La noche su puso íntima
como una pequeña plaza.
Guardias civiles borrachos,
en la puerta golpeaban.
Verde que te quiero verde.
Verde viento. Verdes ramas.
El barco sobre la mar.
Y el caballo en la montaña.

Federico García Lorca, Romance sonámbulo, extrait de Romancero gitano
Vert c'est en vert que je t'aime
Vert le vent, vertes les branches.
Le bateau sur la mer
Et le cheval dans la montagne.
Avec une ceinture d'ombre
Elle rêve sur son balcon,
chair verte et cheveux verts,
Avec des yeux d'argent froid.
Vert c'est en vert que je t'aime.
Sous la lune gitane,
Les choses la regardent
Et elle ne peut les regarder.
Vert c'est en vert que je t'aime
De grandes étoiles de givre
Viennent avec le poisson d'ombre
Qui ouvre le chemin de l'aube.
Le figuier frictionne le vent
Avec la peau rugueuse de ses branches
Et le maquis, rusé compère
Hérisse ses agaves aigres
Mais qui viendra ? Et par où... ?
Elle reste sur son balcon
chair verte et cheveux verts
 Rêvant à la mer amère.

Compère, je veux changer
Mon cheval pour sa maison
 ma monture pour son miroir
Mon couteau pour sa couverture.
Compère, je saigne
Depuis les monts de Cabra.
Si j'avais pu, petit,
Le marché serait conclu.
Mais je ne suis déjà plus moi
Et ma maison n'est plus ma maison. Compère, je veux mourir
Dignement dans mon lit.
D'acier si c'est possible
Avec des draps de hollande.
Ne vois-tu pas ma blessure
De la poitrine à la gorge?
Trois cents roses brunes
Ornent ton plastron blanc.
Ton sang suinte et exhale
autour de ta ceinture.
Mais je ne suis plus moi
Et ma maison n'est plus ma maison. Laissez-moi au moins monter
Jusqu'aux plus hautes balustrades.
Laissez-moi monter, laissez-moi,
Jusqu'aux vertes balustrades.
Balustrades de la lune
Par où retentit l'eau.

Déjà les deux compères montent
Jusqu'aux hautes balustrades.
Laissant une trainée de sang
Laissant une trainée de larmes.
Tremblaient sur les toits
Les lanternes de fer-blanc.
Mille tambours de cristal
Annonçaient l'aube.

Vert c'est en vert que je t'aime
Vert le vent, vertes les branches.
Les deux compères montèrent
Le grand vent laissait
Dans la bouche un goût étrange
De fiel, de menthe et de basilic.
Compère! Où est-elle, dis-moi ?
Où est ma petite femme amère ?
Combien de fois t'a t-elle attendu ?
Combien de fois t'attendra t-elle ?
Visage frais, cheveux noirs,
à cette verte balustrade!

Dans le reflet de la citerne
La gitane se balançait.
chair verte, cheveux verts,
Avec des yeux d'argent froid.
Une chandelle de glace de lune
La maintient sur l'eau.
La nuit s'est faite intime
comme une petite placette.
Des Gardes civils ivres
Frappaient à la porte.
Vert c'est en vert que je t'aime
Vert le vent. Vertes les branches
Le bateau sur la mer
Et le cheval dans la montagne


dimanche 20 juillet 2014

Alors pourquoi laisser ce sublime silence... ?


(...)      
ROXANE, debout près de lui.
Chacun de nous a sa blessure : j'ai la mienne.
Toujours vive, elle est là, cette blessure ancienne,
               Elle met la main sur sa poitrine.
Elle est là, sous la lettre au papier jaunissant
Où l'on peut voir encor des larmes et du sang !
               Le crépuscule commence à venir.

            CYRANO
Sa lettre !... N'aviez-vous pas dit qu'un jour, peut-être,
Vous me la feriez lire ?

Portrait de Jehandier Desrochers
            ROXANE
                                     Ah ! Vous voulez ?... Sa lettre ?

            CYRANO
Oui... Je veux... Aujourd'hui...

            ROXANE, lui donnant le sachet pendu à son cou.
                                              Tenez !

            CYRANO, le prenant.
                                                          Je peux l’ouvrir ?

            ROXANE
Ouvrez... lisez !...
            Elle revient à son métier, le replie, range ses laines.

            CYRANO, lisant.
                             "Roxane, adieu, je vais mourir !..."

            ROXANE, s'arrêtant, étonnée.
Tout haut ?

            CYRANO, lisant.
                 "C'est pour ce soir, je crois, ma bien-aimée !
"J'ai l'âme lourde encor d'amour inexprimée,
"Et je meurs ! jamais plus, jamais mes yeux grisés,
"Mes regards dont c'était..."

            ROXANE
                                           Comme vous la lisez,
Sa lettre !

            CYRANO, continuant.
              "...dont c'était les frémissantes fêtes,
"Ne baiseront au vol les gestes que vous faites
"J'en revois un petit qui vous est familier
"Pour toucher votre front, et je voudrais crier..."

            ROXANE, troublée.
Comme vous la lisez, -- cette lettre !
            La nuit vient insensiblement.

            CYRANO
                                                         "Et je crie
"Adieu !..."

            ROXANE
                  Vous la lisez...

            CYRANO
                                          "Ma chère, ma chérie,
"Mon trésor..."

            ROXANE, rêveuse.
                      D'une voix...

            CYRANO
                                        "Mon amour..."

            ROXANE
                                                                 D'une voix...
               Elle tressaille.
Mais... que je n'entends pas pour la première fois!
               Elle s'approche tout doucement, sans qu'il s'en aperçoive,
               passe derrière le fauteuil se penche sans bruit, regarde la
               lettre. -- L'ombre augmente.

            CYRANO
"Mon coeur ne vous quitta jamais une seconde,
"Et je suis et serai jusque dans l'autre monde
"Celui qui vous aima sans mesure, celui..."

            ROXANE, lui posant la main sur l'épaule.
Comment pouvez-vous lire à présent ? Il fait nuit.
            Il tressaille, se retourne, la voit là tout près, fait un geste
               d'effroi, baisse la tête. Un long silence. Puis, dans l'ombre
               complètement venue, elle dit avec lenteur, joignant les mains:
Et pendant quatorze ans, il a joué ce rôle
D'être le vieil ami qui vient pour être drôle !

            CYRANO
Roxane !

            ROXANE
            C'était vous.

            CYRANO
                                 Non, non, Roxane, non !

            ROXANE
J'aurais dû deviner quand il disait mon nom !

            CYRANO
Non ce n'était pas moi !

            ROXANE
                                     C'était vous !

            CYRANO
                                                          Je vous jure...

            ROXANE
J'aperçois toute la généreuse imposture
Les lettres, c'était vous...

            CYRANO
                                       Non !

            ROXANE
                                                Les mots chers et fous,
C'était vous...

            CYRANO
                      Non !

            ROXANE
                               La voix dans la nuit, c'était vous.

            CYRANO
Je vous jure que non !

            ROXANE
                                   L'âme, c'était la vôtre !

            CYRANO
Je ne vous aimais pas.

            ROXANE
                                    Vous m'aimiez !

            CYRANO, se débattant.
                                                                C'était l'autre !

            ROXANE
Vous m'aimiez !

CYRANO, d'une voix qui faiblit.
                          Non !

            ROXANE
                                    Déjà vous le dites plus bas !

            CYRANO
Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas !

            ROXANE
Ah ! que de choses qui sont mortes... qui sont nées !
-- Pourquoi vous être tu pendant quatorze années,
Puisque sur cette lettre où, lui, n'était pour rien,
Ces pleurs étaient de vous ?

            CYRANO, lui tendant la lettre.
                                             Ce sang était le sien.

            ROXANE
Alors pourquoi laisser ce sublime silence
Se briser aujourd'hui ?

            CYRANO
                                    Pourquoi ?...
            Le Bret et Ragueneau entrent en courant... 

(...)

Edmond ROSTAND, Cyrano de Bergerac, Acte V, scène 5.